Pour les riverains des grands cours d’eau bourguignons, les années en 6 furent, au XIXe siècle, souvent catastrophiques car trop couramment associées à des crues violentes, dont la plupart furent a posteriori classées dans la catégorie des crues centennales, c’est-à-dire n’ayant qu’une chance sur cent de se produire tous les ans. Le phénomène a deux origines. Dès le début du mois de septembre, d’abondantes et continues pluies océaniques font grossir les différents cours d’eau. Le Morvan, château d’eau de la Bourgogne, est littéralement sous la pluie et provoque les premiers débordements. Cependant les 22 et 23 septembre 1866, un violent phénomène cévenol s’abat sur les hauts versants de la Loire et de l’Allier. Plus au nord, l’épisode pluvieux est également marqué. Ces dernières pluies transforment les cours d’eau déjà débordés en véritables colonnes d’eau qui coulent sans que rien ne les arrêtent vers la Bourgogne.
Le bassin de la Loire, déjà frappé par les crues de octobre 1846 et mai 1856, fut le plus touché, tant à cause du débordement du fleuve lui-même que de certains de ses affluents.
Le canal du Centre, qui longe la Bourbince en crue, est percé en plusieurs endroits, provoquant de nombreuses interruptions de navigation. Entre les écluses 27 et 30 du versant océan (communes de Vitry-en-Charollais et Digoin), les dégâts sont si conséquents (on a frôlé la submersion des biefs) que le corps des ponts et chaussées envisage de condamner définitivement ce tronçon ancien du canal tant les travaux de restauration à réaliser seront importants et onéreux (ce sera partiellement chose faite en 1870). À Digoin même, les bas quartiers sont sous l’eau. Plus en aval, Nevers pâtit elle aussi considérablement du débordement de la Loire. Plusieurs digues et levées (dont celle de Sermoise) sont percées, la voie de chemin de fer emportée, certains bas quartiers submergés. Mais les digues construites le long de la Nièvre après la crue de 1856 ont permis de protéger une partie de Nevers. La rencontre des eaux de la Loire en crue avec celles, également surabondantes, de l’Allier accroît encore le phénomène à tel point qu’entre le bec d’Allier et Gien, la crue de 1866 fut plus forte que celle de 1846. Puis les flots s’étalent, au fur et à mesure qu’on va vers l’ouest, non sans faire encore d’importants dégâts à Tours… Sur le bassin de l’Yonne, la rivière déborde au point de submerger les ouvrages d’art du canal du Nivernais et d’interrompre, là aussi, la navigation. Les stocks de bois destinés au flottage, des meules de foin, des arbres sont également emportés. À Sens, le faubourg Saint-Paul est sous les eaux et les conduites de gaz sont explosées plongeant la ville dans l’obscurité. L’Armançon, l’un des affluents de l’Yonne, déborde si fort qu’il emporte le pont suspendu de Flogny, le plus ancien pont de ce genre construit dans le département. Les eaux du bassin de l’Yonne, jointes à celles de la Seine bourguigno-champenoise, provoquent une inondation qui frappe jusqu’aux portes de Paris. Corbeil est sous les eaux. La violence de ces inondations est telle qu’une souscription publique est ouverte par le Moniteur. La famille impériale versera 160 000 francs. L’empereur Napoléon III, à la suite de ces inondations d’une rare violence, les secondes de son règne, commande au Bourguignon Emmanuel Comoy, inspecteur général des ponts et chaussées, un second rapport sur les moyens de prévenir de telles catastrophes. Son rapport rédigé à la suite des inondations de 1856 n’ayant été que très peu suivi d’effet, il préconisa, dans ce second mémoire, de nouvelles techniques dont la création de déversoir de surface et de fond dans les levées.
Philippe Ménager, Fleuves et rivières de Bourgogne, Viévy, l’Escargot savant, à paraître.