Le 18 mars 1614, Jean de Saint-Séverin prenait possession du « château, pourpris et jardin » de Fontaine près Dijon en tant que premier supérieur de la communauté de feuillants appelée à occuper ce haut lieu de la mémoire bernardine. Les feuillants étaient l’une de ces nombreuses familles religieuses établies au temps de la réforme catholique dans le but de revenir à la primitive observance et à la pleine rigueur de la vie régulière, en l’occurrence du monachisme cistercien considéré comme relâché. Épris de pauvreté radicale, comment avaient-ils pu se procurer l’un des plus illustres châteaux de Bourgogne, pour lequel il avait fallu verser à son précédent propriétaire, Joachim de Damas, la belle somme de 5 400 livres ? Derrière cet achat se cache une grande figure de femme pieuse, comme la France de Louis XIII en connut tant, Françoise Hurault, veuve d’Amos du Tixier, un proche d’Henri IV, appartenant à une famille de grands serviteurs de l’État qui avait donné, en l’une de ses branches, un chancelier de France ; elle était aussi apparentée à Roger de Bellegarde, le puissant gouverneur de Bourgogne. Son fils Charles, né en 1597, entra très jeune chez les feuillants, où il devait mourir dès 1621 en odeur de sainteté. C’est pour favoriser la congrégation d’un fils dont elle partageait les aspirations que Françoise Hurault finança la fondation de Fontaine, avant de se retirer elle-même dans un couvent de « pauvres dames ». On pourrait croire qu’une si bonne fée penchée sur le berceau des feuillants allait désarmer toutes les oppositions : il n’en fut rien. Deux antipathies tenaces accueillirent les premiers Pères. Celle, d’abord, de l’abbaye de Cîteaux, qui se considérait comme légitime détentrice du souvenir de saint Bernard, d’autant qu’elle avait reçu une première fois le château natal au XVe s. sans pouvoir s’y installer, et qui voyait d’un fort mauvais œil la critique implicite des réformés feuillants. Il fallut un arrêt du Parlement pour faire taire les cris des moines blancs. Celle, ensuite, des échevins de Dijon, qu’une triple inquiétude animait : qu’allait-il en être de la justice sur Fontaine, qui appartenait à la banlieue de la capitale provinciale et comme telle relevait du vicomte mayeur ? Au moment même où l’on démantelait le prestigieux château de Talant, que les Feuillants entendaient-ils faire de cette autre forteresse-clef aux portes de Dijon ? Enfin, en des années de prodigieux essor de la vie conventuelle, une nouvelle communauté religieuse aurait-elle de quoi survivre et ne risquait-elle pas de peser sur la contrée ? Les Messieurs de la mairie furent bientôt rassurés sur les intentions pacifiques et la subsistance assurée des pauvres clercs de Fontaine. À vrai dire, la bienveillance l’emporta vite sur la défiance, comme on le vit lorsque commencèrent à sortir de terre les bâtiments du monastère. Et les lettres patentes par lesquelles le roi s’en déclara fondateur en 1618 manifestèrent publiquement la faveur de religieux qui allaient demeurer 178 ans sur la « sainte colline ».- SP et AR
Louis des Anges Gellain, Inventaire du monastère des feuillants, 1770, Archives départementales de la Côte-d’Or, J 2579 ; - Louis Chomton, Saint Bernard et le château de Fontaine, Dijon, 1891-95 (3 vol.) ; - Sigrid Pavèse, Les feuillants et le monastère royal de Fontaine, exposition, Bibliothèque municipale de Fontaine-lès-Dijon, 12 sept.-3 oct. 1998, Fontaine-lès-Dijon, 1998, 64 p. ; - Ead., « Le XVIIe s., le siècle des feuillants », Le village des fontaines, Fontaine-lès-Dijon, 2007.