La jeune communauté de Cîteaux, dans les premières années du XIIe siècle, n’était pas florissante. Fondée par l’abbé de Molesme, Robert, qui avait été contraint de réintégrer son monastère, elle rassemblait, sous la crosse de l’Anglais Étienne Harding, le petit reste de ceux qui, en 1098, étaient venus en plaine de Saône à la recherche d’une application plus rigoureuse de la règle de saint Benoît. Aussi, l’arrivée de tout un groupe de jeunes chevaliers fut-elle un événement capital dans l’histoire de son développement. Ce groupe était mené par Bernard, le fils puiné de Tescelin le Saur, châtelain de Fontaine pour le compte du duc de Bourgogne. Formé aux écoles canoniales de Châtillon, le jeune homme était attiré par une vie religieuse austère et ardente. Non seulement y aspirait-il pour lui, mais encore, déjà prédicateur avant même que d’être clerc, il entendait y convertir les siens : c’est accompagné de ses frères et de cousins (qui avaient dû pour l’occasion se séparer de leurs épouses et faire d’elles des nonnes) qu’il se présenta finalement à l’abbé Étienne en 1112 (date traditionnelle ; plusieurs auteurs ont proposé 1113, avec de bons arguments). Tout cela ne faisait certainement pas les trente novices que comptent les sources cisterciennes, mais permettait à Cîteaux d’atteindre la population en-deçà de laquelle la survie était en jeu. C’est d’ailleurs à partir de ce moment qu’intervinrent les premières fondations.
Le noviciat de Bernard fit-il pour autant de lui un cistercien ? C’est loin d’être une évidence. Le fils du sire de Fontaine avait sur la perfection religieuse et la vie de l’Église des idées bien arrêtées, qui souvent n’étaient pas celles de son abbé. Pendant les brèves années qu’il passa au Nouveau Monastère, il reçut la formation monastique dont il ne pouvait faire l’économie (et qu’il aurait aussi bien pu chercher ailleurs). Dès que possible, il vola de ses propres ailes, regardant infiniment plus loin que les horizons bornés du Val de Saône : jusqu’aux limites de la Chrétienté.
Jean Marilier, "La vocation", suivi de Paul Villaret, "L'école au service de Dieu", Bernard de Clairvaux, préf. Th. Merton, Alsatia, 1953 ("Commission d'histoire de l'ordre de Cîteaux", 3), p. 29-44 ; - Ferruccio Gastaldelli, "I primi vent'anni di san Bernardo : problemi e interpretazioni", Analecta cisterciensia, t. 43, 1987, p. 111-148.