Jules Jaluzot est une personnalité hors-norme, véritable personnage de roman à la jonction des XIXe et XXe siècles, à la fois homme d’affaires, homme politique et homme de presse, possédant, à partir de 1892, deux grands journaux nationaux La Patrie et La Presse. Et pourtant, rien ne le prédestinait à une telle ascension sociale. Né le 5 mai 1834 à Corvol-l’Orgueilleux dans une famille de la bourgeoisie provinciale, d’un père notaire et maire de sa commune, Jules Jaluzot fait des études à Clamecy puis au collège d’Auxerre. En 1853, il rejoint Paris et travaille alors dans plusieurs maisons de commerce avant d’intégrer Au Bon Marché dirigé par Aristide Boucicaut. En février 1864, il se marie avec Augustine Figeac, de treize années son aînée, sociétaire de la Comédie-Française. Elle lui apporte la fortune nécessaire à la réalisation de son rêve : créer sa propre enseigne commerciale dans un quartier récent et en devenir.
Ouvert en novembre 1865, le magasin de nouveautés Le Printemps connaît rapidement le succès. Près de mille personnes sont employées en 1880. Mais en mars 1881, l’établissement est la proie des flammes qui le détruisent entièrement. Après une reconstruction totale, les grands magasins du Printemps rouvrent en grandes pompes en mars 1883.
Jules Jaluzot a d’autres ambitions : conquérir le siège de député de Clamecy détenu par le républicain Sylvestre Hérisson. Ayant investi de fortes sommes d’argent dans trois des quatre journaux locaux et dans le tissu socio-économique, il l’emporte très facilement en septembre 1889. Réélu dès le premier tour aux scrutins législatifs de 1893, 1898 et 1902, sa manne financière ne se tarit pas et provoque tout à la fois l’ire et le désespoir des gauches de l’arrondissement qui tentent de le battre. Il subit cependant pour le scrutin cantonal de Varzy de 1898 un revers face au candidat républicain sortant, le docteur Alphonse Paillard.
Mais, Jules Jaluzot ne peut pas se représenter aux élections législatives de mai 1906. Lui qui proclamait en 1889 qu’« on vit d’affaires et on meurt de politique », est « tué » par ses affaires. En effet, à l’été 1905, des placements spéculatifs sur les sucres le ruinent et placent sa société des magasins du Printemps au bord du gouffre. « L’affaire Jaluzot », expression employée à l’époque par la presse, est très médiatisée. Jaluzot est écarté définitivement du Printemps. Pour rembourser ses nombreux créanciers, ses biens sont mis aux enchères et la justice le condamne à un an de prison avec sursis et à une amende. Jules Jaluzot perd également au même moment sa seconde épouse, Andrée Léonie Dubois.
C’est avec elle qu’il avait connu les joies de la paternité avec une fille née en septembre 1885 et un fils né en mai 1887.
Il faut noter qu’il n’avait reconnu ses deux enfants qu’en janvier 1894 au moment de son mariage avec Mlle Dubois. Ayant dû abandonner à ses créanciers son superbe hôtel particulier au 6 de la rue d’Athènes à Paris (9e), Jules Jaluzot partage désormais son temps entre Asnières-sur-Seine, Corvol-l’Orgueilleux et le Maroc où il semble poursuivre des activités commerciales. Inéligible jusqu’en juillet 1911, « l’homme au parapluie », l’un de ses surnoms, décide de se représenter aux élections législatives de mai 1914 face à celui qui lui a succédé, le radical-socialiste André Renard. Mais il échoue non sans avoir regroupé sur son nom près de 46 % des voix au second tour.
Comme beaucoup d’autres familles françaises, Jules Jaluzot est frappé par le deuil dès le début de la Grande Guerre : son fils prénommé Jules meurt le 6 septembre 1914 au cours de la bataille de la Marne. Marqué par un destin exceptionnel, Jules Jaluzot s’éteint le 21 février 1916 à Paris.
Michaël Boudard, « Un notable nivernais : Jules Jaluzot (1834-1916), exemple d’une ascension économique et politique à la fin du 19e s. et au début du 20e s.) », Bulletin de la Société scientifique et artistique de Clamecy, 1999, p. 29-70.