Né à Varzy en 1783, Dupin aîné est tout d’abord clerc d’avoué à Paris, puis entre à l’Académie de législation. Travailleur infatigable, il est avocat en 1800, et obtient en 1803 le premier doctorat en droit civil depuis la Révolution. Candidat sans succès aux fonctions d’avocat général à la Cour de cassation, il est chargé en 1813 de classer les innombrables lois et décrets de l’Empire. Parallèlement, sa réputation au barreau grandit, et c’est en pleine Terreur blanche (fin 1815) qu’il se charge de la défense du maréchal Ney devant la Chambre des pairs, puis de Savary (1819) et Caulaincourt (1820) dans les « procès des Cent-Jours ». Le procès de Ney est mené avec une telle maestria que les esprits populaires en seront durablement marqués, même si Dupin ne parvient pas à sauver le « brave des braves » du peloton d’exécution. C’est à cette même époque qu’il rédige son ouvrage le plus célèbre, De la libre défense des accusés, véritable manifeste pour une justice indépendante et impartiale, affirmant très haut la présomption d’innocence. Jusqu’en 1830 et son entrée en politique, Dupin plaidera encore de nombreuses causes fameuses, comme celle opposant le journal Le Constitutionnel aux jésuites. Son éloquence, le relief parfois trivial de son débit, les développements quasi mathématiques de ses démonstrations, son sens de l’improvisation ont largement contribué à sa gloire.
Brièvement élu à la Chambre des Cent-Jours en mai 1815, Dupin aîné ne retrouve un siège de député qu’en 1827. Lié au centre-gauche libéral, ses talents d’orateur lui valent d’être le rapporteur de l’Adresse des 221, qui ouvre la voie aux Journées de juillet 1830. Conseiller juridique et ami de longue date du duc d’Orléans, il fait alors partie de la délégation qui se rend à Neuilly pour proposer au duc la lieutenance générale du royaume. Le 9 août 1830, le duc d’Orléans est reconnu « Roi des Français » sous le nouveau drapeau tricolore et sous le nom de Louis-Philippe 1er. C’est Dupin lui-même qui aurait habilement suggéré ce nom mêlant l’héritage des deux branches des Bourbons.
Le nouveau roi le nomme rapidement procureur général près la Cour de cassation. Il est également membre de l’Académie française à partir de 1831, grâce à son action en faveur de la liberté de la presse. Élu et réélu député de la Nièvre, il devient président de la Chambre le 21 novembre 1832, et sera reconduit sept fois au « perchoir » jusqu’en février 1839. Il refuse par deux fois le portefeuille de la Justice (1839 et 1840). Président équitable, aux réparties mordantes, il n’épargne aucun camp. Ses sarcasmes et la protection du roi lui vaudront beaucoup d’inimitiés, notamment celle de Victor Hugo qui l’éreinte violemment dans ses écrits. Après l’abdication de Louis-Philippe, le 22 février 1848, Dupin tente une ultime manœuvre en faveur du régime, en présentant la duchesse d’Orléans, régente présumée, devant la Chambre. C’est l’échec, qui le conduira peu après à décider, en tant que plus haute autorité judiciaire de France, « que la justice sera désormais rendue au nom du peuple français ». Il se rallie ainsi à la Deuxième République, et devient le premier président de l’Assemblée législative élue en mai 1849. La mort de Louis-Philippe (26 août 1850), dont il sera l’exécuteur testamentaire, précipite la rupture entre les différents courants monarchistes. Les relations se crispent également entre le prince-président et l’assemblée, qui conduiront au coup d’État : le matin du 2 décembre 1851, la troupe investit l’Assemblée, sans que le président Dupin ne s’y oppose. Honni pour cette étonnante passivité, il demeure toutefois procureur général jusqu’en janvier 1852, date à laquelle il démissionne à la suite de la confiscation des biens de la famille d’Orléans. Il se retire dans son château de Raffigny, où il rédige ses mémoires. Il sortira de sa retraite morvandelle en 1856, acceptant de reprendre l’hermine de procureur général et de siéger au Sénat à partir de 1857. Pour justifier cette apparente adhésion au Second Empire et faire taire les critiques sur sa proverbiale versatilité politique, il aura cette phrase qui vaut épitaphe : « J’ai toujours appartenu à la France, et jamais aux partis. »
Personnage ambivalent, il a su faire la juste part entre ses hautes fonctions parisiennes et son travail d’élu de terrain. Dans la Nièvre, il a notamment œuvré pour le désenclavement du Morvan, popularisé les comices agricoles, et milité pour une rationalisation des techniques agricoles, soutenu en cela par son frère cadet, le baron Charles Dupin. Cette ruralité affirmée lui a valu de savoureuses caricatures dans la presse satirique. Il décède à Paris le 10 novembre 1865, et est inhumé à Clamecy. Une statue de bronze, œuvre du sculpteur varzycois Émile Boisseau, est érigée sur la place du marché de Varzy en août 1869. C’est à cette occasion que Victor Hugo écrira dans La Légende des siècles : « Mort, il se tient droit, lui qui vécut à plat ventre ! » – JMR
Actes de la journée d’études Dupin, dit Dupin aîné, juriste et homme politique nivernais (1783-1965), 19 oct. 2013, organisée par la Société académique du Nivernais et les Archives départementales de la Nièvre, Nevers, 2014, 227 p., ill. (« Mémoires de la Société académique du Nivernais », t. 83) ; - Michel Raséra. Dupin l'aîné, un Nivernais au centre de la Monarchie de Juillet. Précy-sous-Thil, l'Armançon, 2011, 296 p., ill. ; - Dupin aîné, du barreau au perchoir, - catalogue de Jean-Michel Roudier, Varzy, Musée Auguste Grasset, 2007, 26 p., ill.