L’invention de l’élaboration de l’acier par convertisseur, en 1855, marque une avancée spectaculaire vers la production massive d’acier. Elle est le fruit des recherches conduites par Henry Bessemer à partir d’une cornue dans laquelle de l’air est insufflé pour décarburer la fonte. Mais le procédé présente de nombreuses imperfections qui débouchent sur une mise au point laborieuse. Ce n’est vraiment qu’à la suite de l’exposition universelle de Londres, en 1862, qu’il s’impose dans les principales usines sidérurgiques européennes. Il s’agit d’une technique assez violente qui ne répond pas à l’ensemble des besoins de la clientèle. En fait, l’acier Bessemer sert d’abord à la production de rails. En outre, il implique de disposer de matières premières d’excellente qualité. C’est pourquoi, plutôt que de former le terme d’avancées scientifiques et techniques, l’acier Bessemer constitue le point de départ d’un ensemble de recherches. La France, dans la continuité des études conduites un siècle plus tôt par Réaumur, fait figure de pionnière. Deux séries d’expérimentation s’engagent, conduites par Louis Le Châtelier d’une part, Émile Martin et son fils Pierre, d’autre part.
Car, le développement de la production de fer et d’acier génère une grande quantité de ferrailles qu’il faut valoriser. En définitive, Pierre Martin parvient, en avril 1863, à obtenir de l’acier à partir d’un four à sole. La même année voit Louis Le Châtelier, faute de pouvoir toujours disposer du soutien financier de la société Commentry-Fourchambault, abandonner ses recherches entamées à l’usine de Montluçon. Commentry-Fourchambaut peine à tirer profit de ses cornues Bessemer, d’où son choix de ne plus disperser ses investissements. Entre-temps, Pierre Martin est entré en relation avec William Siemens pour utiliser le four à sole de ce dernier et l’adapter à la production d’acier. Entre 1863 et 1867, Martin poursuit ses expériences à l’usine de Sireuil et parvient à mettre son four parfaitement au point. Il permet aux industriels de disposer d’une gamme étendue de produits sidérurgiques répondant aux besoins d’une clientèle de plus en plus soucieuse de la qualité des aciers utilisés. Au cours des années suivantes, une classification poussée des variétés d’acier est engagée. Là encore, c’est à un industriel bourguignon que revient cette réussite : à l’exposition universelle de Vienne, en 1873, les établissements Schneider et Cie, du Creusot, présentent leurs résultats dans ce domaine, eux qui ont été parmi les premiers, en France, à se doter d’un laboratoire sidérurgique et à se porter acquéreurs de la licence pour le four Martin.
Le procédé Martin, aujourd’hui abandonné, a connu une diffusion mondiale et pourtant, que de peines, pour Pierre Martin, avant de parvenir à faire reconnaître ses mérites. Il sera couvert d’honneurs quelques années seulement avant sa mort, alors qu’il est très âgé. Henry Le Châtelier, fils de son ancien rival, note, au terme de sa notice biographique consacrée à Henry Bessemer et publiée en 1910 dans la Revue de métallurgie : « Je veux placer à côté du nom de Bessemer, celui d’un Français totalement inconnu aujourd’hui, Pierre Martin. Il vit isolé dans un petit village de la Nièvre. Ses enfants, quelques voisins de campagne pensent seuls à lui et cependant son nom est constamment sur les lèvres des métallurgistes du monde entier. » Car, bien que Sireuil soit située en Gironde, c’est une famille de Nivernais qui a porté ce nouveau procédé de fabrication de l’acier. Émile Martin, le bailleur de fonds, est le gendre de Georges Dufaud, directeur de l’usine de Fourchambault et c’est à côté de Fourchambault que Pierre Martin décède, en 1915. -JPP