L’époque romantique, avec sa passion pour les récits et les images des temps mérovingiens, a joué un mauvais tour à l’une des plus hautes figures de la transition entre Antiquité et Moyen-Âge : la longue vie de Brunehaut a été réduite à sa rivalité avec Frédégonde et à la mise à mort particulièrement spectaculaire qui en constitua l’épilogue tardif. La reine méritait pourtant mieux que ce destin pour presse à scandales. Par ses origines d’abord : Brunehaut est une princesse espagnole. Parmi les royaumes issus de l’éclatement du monde romain, celui des Wisigoths est celui qui a le mieux conservé les valeurs politiques et culturelles de l’ancien Empire. Les Belles Lettres y sont à l’honneur et Brunehaut en est imbue. Aussi le choc est-il rude lorsqu’elle vient en Gaule épouser Sigebert, un petit-fils de Clovis qui règne sur l’Austrasie, tandis que sa sœur Galeswinthe devient (pour son malheur) la femme du roi de Neustrie Chilpéric. Comme souvent dans le destin de ces femmes de pouvoir des âges obscurs, c’est le veuvage qui lui permet de donner sa pleine mesure. À partir des années 590, elle exerce pour le compte de son petit-fils Thierry la régence sur le royaume de Bourgogne, péniblement obtenu à la mort de Gontran, et révèle là un indiscutable sens de l’État « à la romaine ». Ses rapports avec les clercs en sont des plus révélateurs : orageux avec l’Irlandais Colomban, un rigoriste étranger à la culture curiale, excellents avec une hiérarchie ecclésiastique ancrée dans les traditions de l’aristocratie sénatoriale, à commencer par le grand contemporain et correspondant de la reine, le pape Grégoire Ier. Ce n’est pas un hasard si Brunehaut s’attacha particulièrement à la vieille capitale régionale hyper-romanisée qu’était Autun ; elle y fonda, avec l’évêque Syagrius, deux monastères voués à un sort prestigieux, Saint-Martin pour les hommes et pour les femmes Notre-Dame, devenu Saint-Jean-le-Grand, ainsi qu’un xenodochium (hospice) sous le vocable de Saint-Andoche. Telle est l’image qu’il convient de garder de Brunehaut : administratrice, fondatrice et mécène, en un siècle de fer.- AR
Bruno Dumézil, La reine Brunehaut, Fayard, 2008, 559 p., ill. ; Maurice Chaume, « À propos des chaussées Brunehaut », Annales de Bourgogne , t. 10, 1938, p. 299-300 ; Godedroid Kurth, « La reine Brunehaut », Revue des questions historiques, t. 50, 1891, p. 5-79 (articles numérisés).