Commission des sciences économiques
Née du hasard et de la nécessité, le 2 février 1905, Bécassine aurait, aujourd’hui, 110 ans, or son succès demeure constant et sa personnalité énigmatique. Est-elle seulement la caricature de la Bretonne stupide spectatrice des péripéties d’un monde auquel elle ne comprend rien ou le témoin privilégié de son époque? Est-elle ridicule ou pleine d’humour? Inculte ou passeur d’une authentique culture? Se réduit-elle à « un clown asexué solitaire » ou illustre-telle déjà la mutation que les femmes accompliront? Contribue-t-elle au rejet de sa terre natale ou à l’engouement pour elle?
Est-elle enfermée dans sa condition de servante, vouée au mépris de la grande bourgeoisie et de l’aristocratie qui l’emploie, ou la figure féminine consensuelle de la mère qui protège? Incarnation de la lutte des classes, ou image apaisante d’un monde réconcilié baigné, par la beauté des paysages d’une France finement dessinée par Joseph-Porphyre Pinchon, et racontée dans une langue somptueuse par Caumery, alias Maurice Languereau ?
Enfin, n’est-elle que l’ombre portée de la vision existentielle de son créateur, grand bourgeois parisien, admirateur de Proust, imprégné de la Recherche du temps perdu, qui fait revivre la princesse de Guermantes dans la Marquise de Grand-Air? Ou lui échappe-t-elle ainsi que le suggère Marie-Anne Couderc en étudiant l’image où l’auteur cède son stylo à son héroïne dans Bécassine aux Bains de mer ?
Créée pour « moraliser, instruire et amuser » les petites filles « bien élevées » de la bourgeoisie catholique, comment expliquer qu’elle fascine encore les jeunes générations actuelles et que l’on réédite ses albums?