Le touriste qui s’égare jusqu’à la chapelle de la Chartreuse de Champmol, hors des sentiers battus et balisés qui mènent au Puits de Moïse, est interpellé par le choc du portail de Claus Sluter, chef d’œuvre de la sculpture bourguignonne du quatorzième siècle, plaqué sur un édifice érigé au dix-neuvième, qui se veut son héritier. Et lorsqu’il découvre que l’architecte qui restaure Notre-Dame entre1865 et 1884, n’a pas hésité à démolir la voûte du transept, pour créer une lanterne qui sacrifie beffroi et cloches, ses certitudes sont ébranlées. Enfin, quand il constate, dans la Salle de Pas perdus de la cour d’appel, que Jean-Philippe Suisse crée une rosace, mure les ouvertures, et déplace la chapelle du Saint-Esprit, et il n’est plus du tout persuadé de la réalité de la filiation des deux styles. Plus, il entrevoit leur antagonisme radical, et s’interroge sur sa signification.
Alors que le gothique surgit dans l’efflorescence de la chrétienté occidentale en lien étroit avec la dialectique scolastique, le néo-gothique, né de la nostalgie romantique d’un monde à jamais aboli, et du dessein apologétique du Génie du Christianisme, est la reconstruction improbable d’un patrimoine englouti, avec les techniques quasi industrielles du machinisme triomphant de l’époque. Le rapport du néo-gothique au gothique, c’est celui de la surcharge à l’épure, avec ses excès et ses créations gratuites, ses collages et ses remplois, celui de la copie au modèle. Le néo-gothique, c’est la création d’une génération coupable et repentante d’avoir détruit le gothique.
C’est cette tension sous-jacente à ces formes d’art, exacerbée à Champmol, mais présente aussi dans beaucoup de nos édifices, que cette causerie tentera d’analyser, incitant le promeneur dijonnais à la traquer, car elle est porteuse de sens.